Category: Articles en français

  • Un film lituanien qui a changé ma vie

    J’ai découvert le film lituanien Summer (titre original : Sangailės vasara) d’Alantė Kavaitė lors de sa sortie en DVD en 2016. Ce film a été une révélation pour moi. Au départ, c’est l’histoire d’amour entre les deux filles qui m’a incitée à le regarder. Je n’aurais jamais imaginé qu’une histoire d’amour allait naître entre la Lituanie et moi après avoir vu cette œuvre. Je l’ai tellement aimée que j’ai décidé d’apprendre la langue lituanienne ! C’était pour moi une manière de prolonger la magie du film pendant des années.

    J’ai également écrit à Aistė Diržiūtė-Rimkė, l’une des deux actrices principales du film. Nous avons alors échangé quelques longs et beaux messages sur plusieurs années. Un jour, je lui ai fait part de mon projet de voyager dans les Pays Baltes, en espérant seulement qu’elle me souhaite un bon séjour. J’étais loin du compte ! Elle m’a fait une proposition extrêmement touchante et inattendue : me rencontrer ! Que cela se concrétisait ou pas, une telle marque de considération comptait énormément pour moi.

    Quelques mois plus tard, j’ai eu la chance inouïe que les dates de mon voyage coïncident avec son emploi du temps très chargé. J’ai rencontré Aistė en personne lors d’une soirée d’été dont je me souviendrai toute ma vie. Aistė est l’une des personnes les plus attachantes, généreuses, sensibles et humbles que j’ai jamais rencontrées.

    À ce jour, je peux encore dire que je ne me suis jamais sentie aussi bien accueillie en Lituanie que dans n’importe quel autre pays au monde.

    L’actrice et journaliste Aistė Diržiūtė-Rimkė et moi en 2022 à Vilnius

  • La Voie Balte : un Acte de Courage Historique

    La Voie Balte : un Acte de Courage Historique

    Le 23 août 1989 : la Chaine Humaine pour la Liberté

    Le 23 août 1989 marquait le 50e anniversaire de la signature du pacte germano-soviétique Molotov-Ribbentrop, qui se voulait un traité de non-agression. Ce pacte était en réalité accompagné de « protocoles secrets », « qui, en plaçant les pays baltes dans la “zone d’intérêt” soviétique, ont ouvert la voie à leur annexion par l’URSS » et « permis à Staline d’envahir la Lettonie, la Lituanie et l’Estonie en septembre 1939, quelques semaines après l’entrée des troupes de Hitler en Pologne », comme l’indiquent deux articles du journal Le Monde du 25 août 1989.

    Le 23 août 1989, 2 millions de Lituaniens, de Lettons et d’Estoniens ont eu le courage de former une chaine humaine géante de protestation pacifique sur 600 km, de Vilnius à Tallinn. Cette chaine humaine a été appelée la Voie Balte.

    La Voie Balte le 23 août 1989
    Crédit photo : V. Daraškevičius

    Source : Google

    Le 25 août 1989, le journal Le Monde raconte :

    « A Tallinn, où les drapeaux tricolores bleu, noir et blanc, les couleurs de l’Estonie, redevenues officielles depuis cette année, claquaient au vent, un moment de silence a été observé lorsque les cloches se sont tues. Puis la foule s’est mise à entonner l’hymne national et à scander inlassablement “Liberté ! liberté !“. De nombreuses banderoles étaient brandies, dénonçant le pacte de 1939, mais s’en prenant aussi à “l’occupation soviétique”. “Russes, rentrez chez vous !”, “L’Estonie n’appartiendra jamais à l’Union soviétique !”, pouvait-on encore lire. » […]
    « Dans la très catholique Riga, les cloches ont sonné tout au long de la journée, chaque quart d’heure. Là aussi, flottaient partout les couleurs rouge-blanc-rouge. »

    A Vilnius, la place de la Cathédrale (Katedros Aikštė en lituanien) est considérée comme le centre de la Lituanie. La chaine humaine y a commencé précisément à l’endroit où l’on peut lire sur le sol le mot STEBUKLAS (miracle en lituanien).
    Crédits photos : l’auteur du blog

    Silence et résilience des Baltes durant l’occupation soviétique

    Dès 1939 et jusqu’en 1991, la Lituanie, la Lettonie et l’Estonie ont été occupées et annexées par la Russie impérialiste. Tout au long de cette période, les Baltes ont énormément souffert d’être privés de tout : ils devaient parfois faire la queue pendant des heures pour obtenir des denrées alimentaires de base, on leur interdisait d’aller à l’église ou on soignait un ulcère avec de l’aspirine (comme en témoigne Jean Bigot dans son livre La Lituanie au quotidien : Portraits d’une renaissance) – pour ne citer que ces exemples.

    La seule chose à laquelle ils avaient droit était probablement le silence. Muselés par les autorités russes, les Baltes ont conservé un tempérament plutôt silencieux.

    En 2019, lors du 30e anniversaire de la Voie Balte, Enrico Letta, alors doyen de Sciences Po Paris et ancien Premier Ministre italien, a souligné que la Voie Balte était « l’exemple unique de l’activisme civique qui a surpris le monde entier par son ampleur et sa mobilisation authentique de la société civile ».

    Après le retour à la liberté, les séquelles psychologiques de l’ère soviétique

    Quelques mois après la chaine humaine, le 11 mars 1990, la Lituanie a réussi à rétablir son indépendance, suivie par l’Estonie le 20 août 1991 et la Lettonie le 21 août 1991.

    Pendant l’ère soviétique, les Baltes ont toujours eu peur de perdre leur identité et leur langue maternelle.
    Bien qu’ils aient retrouvé leur indépendance et leur liberté, les dommages moraux de l’occupation soviétique n’ont jamais disparu : la peur est toujours profondément ancrée dans l’esprit des Baltes, comme me l’a révélé Zita, une guide lituanienne septuagénaire.

    Des 5 émotions primaires universelles, la peur est la plus difficile à contrôler, ce qui en fait peut-être l’héritage le plus dur à supporter pour ces peuples.

    L’Ukraine au seuil de l’Europe

    En apprenant la langue lituanienne, j’ai aussi découvert l’histoire d’un peuple extrêmement attachant, qui a fait preuve d’un courage inouï jusque dans son histoire très contemporaine.

    Je n’étais pas encore née lorsque la chaine humaine s’est formée, mais lorsque je découvre, par un article du Monde du 25 août 1989, un extrait de la déclaration publique commune que les pays baltes ont faite au reste du monde le 23 août 1989 – « Aujourd’hui, cinquante ans après, nous en appelons à nos amis du Nord, du Sud, de l’Est et de l’Ouest : les pays baltes se trouvent au seuil de l’Europe » -, je sais que l’Ukraine est elle aussi au seuil de l’Europe aujourd’hui et que la vérité, la démocratie et la liberté finiront toujours par avoir le dernier mot.

    Source de la photo en tête d’article : Google

  • La langue lituanienne : un trésor ancien et des similitudes étonnantes avec le français

    La langue lituanienne : un trésor ancien et des similitudes étonnantes avec le français

    En quoi le lituanien est l’une des plus anciennes langues vivantes au monde

    La Lituanie est un pays de lacs niché entre collines et plaines, une géographie qui a contribué à préserver les racines anciennes de sa langue nationale. Pour les linguistes, le lituanien présente un intérêt exceptionnel car on estime qu’il s’agit de la langue vivante la plus proche du proto-indo-européen, une langue hypothétique considérée comme l’unique ancêtre des langues indo-européennes actuelles.

    La langue lituanienne, comme le peuple qui la parle, n’est ni slave ni germanique : avec le letton (et le vieux prussien, langue aujourd’hui disparue), elle appartient à une branche spécifique de la famille indo-européenne : les Baltes. On pense que le lituanien a conservé le plus grand nombre de structures grammaticales et de mots du proto-indo-européen. Fleuves, lacs et forêts isolaient les ancêtres des Lituaniens, les tribus proto-baltes qui vivaient en 3000 avant J.-C. : cet isolement a contribué à préserver le caractère archaïque de la langue lituanienne.

    Si la grammaire française et anglaise s’est considérablement simplifiée au fil du temps, la grammaire des langues germaniques s’est moins simplifiée, et la grammaire lituanienne encore moins. Le lituanien a conservé des caractéristiques très anciennes. Il possède un riche système de déclinaisons, qui comprend par exemple une forme grammaticale rare, voire unique : la forme pronominale de l’adjectif. Mettre un adjectif à la forme pronominale permet de le mettre davantage en valeur dans la phrase, afin d’insister sur la qualité qu’il exprime ou la caractéristique du nom qu’il complète.

    Cela peut laisser penser que le lituanien ne ressemble en rien au français. Et pourtant, on ne peut pas dire que le lituanien soit complètement différent du français.

    Mots lituaniens et français : surprises linguistiques à découvrir

    Ci-dessous, je vous invite à découvrir des mots lituaniens*, issus d’une grande variété de domaines, qui présentent des similitudes inattendues avec leurs équivalents français :

    affiche = afiša
    allô! = alio!
    ambassade = ambasada
    atelier = ateljė
    bagage = bagažas
    balcon = balkonas
    bas-relief = bareljefas
    bureau [lieu de travail] = biuras
    cascadeur = kaskadininkas
    chaise longue = šezlongas
    chalet = šalė
    chef-d’œuvre = šedevras
    citron = citrina
    commode [meuble] = komoda
    contour = kontūras
    cornichon = kornišonas
    douche = dušas
    fauteuil = fotelis
    maire = meras
    maquette = maketas
    maquillage = makiažas
    papier mâché = papjė mašė
    parterre [partie du rez-de-chaussée d’une salle de spectacle] = parteris
    paysage = peizažas (les termes kraštovaizdis et gamtovaizdis sont plus couramment utilisés)
    plage = pliažas
    tirage = tiražas
    tour [de scrutin] = turas
    vitrine = vitrina

    Si vous comparez ces mêmes mots avec leurs équivalents anglais, espagnols, italiens ou allemands, vous constaterez que pour presque tous, seul le mot lituanien ressemble au mot français ! Par exemple, affiche se dit afiša en lituanien mais poster en anglais et en allemand, cartel en espagnol et locandina en italien ! Etonnant, non ?

    Le mot afiša est emprunté au français, tout comme les équivalents lituaniens de quelques autres mots de cette liste : chef-d’œuvre, contour, chalet, papier mâché, etc.

    *Guide de prononciation :
    La lettre lituanienne š se prononce comme dans le mot changement ;
    ž se prononce comme dans le mot jeudi ;
    j se prononce comme dans le mot lire.

    Comme la liste de mots fournie est basée sur mes lectures personnelles, je serai ravie de la compléter au fur et à mesure que je découvrirai des similitudes surprenantes entre le lituanien et le français.

    Illustration de l’article :
    Création graphique réalisée par l’auteur du blog à partir de deux captures d’écran : celle du haut est issue du film lituanien Summer d’Alanté Kavaïté et celle du bas d’une émission de télévision lituanienne (Draugiška Lietuva).

  • Op Art et racines lituaniennes : L’héritage de Kazys Varnelis

    Op Art et racines lituaniennes : L’héritage de Kazys Varnelis

    Si le peintre emblématique de la Lituanie est M. K. Čiurlionis (1875-1911), Kazys Varnelis (1917-2010) n’en est pas moins un peintre lituanien de renommée mondiale.

    Reconnu comme un maître de l’Op Art (art optique fondé sur et créant des illusions d’optique), Kazys Varnelis a un point commun avec Čiurlionis, considéré comme le fondateur de l’art moderne lituanien : ils ont tous deux trouvé leur inspiration dans le folklore de leur pays.

    Kazys Varnelis. Azora, 1971
    Acrylique sur toile, 173 x 173 cm
    Musée national de Lituanie

    Kazys Varnelis. Vibrato, 1972
    Acrylique sur toile, 204 x 224 cm
    Musée national de Lituanie

    Kazys Varnelis. Cascada Cristalina, 1969
    Acrylique sur toile, 200 x 426 cm
    Musée national de Lituanie

    L’influence de l’art populaire lituanien sur Kazys Varnelis

    Dans le cadre de Saison de la Lituanie en France en 2024, la Fondation Vasarely à Aix-en-Provence a présenté l’exposition L’Op Ethnographique, révélant l’influence profonde de l’art populaire lituanien sur l’œuvre de Kazys Varnelis.

    Cette influence passe par la mère du peintre : tisserande et couturière, elle enseigne à son fils la science des motifs géométriques qui ornent les couvre-lits et autres textiles traditionnels lituaniens.

    Tissus fabriqués au XXe siècle par des tisserandes lituaniennes anonymes telles que Bronislava Kulšienė et Cikanavičienė.

    Magdelena Bagdonaitė
    Couvre-lit, ~ 1913
    Coton, lin, laine, tissage frappé
    188 x 154 cm
    Musée national de Lituanie

    Kazys Varnelis. Eléments pulsants, 1967
    Acrylique sur toile, 173 x 173 cm
    Musée national de Lituanie

    Enfant, Kazys Varnelis assiste déjà son père, qui peint les églises, mais la transmission de sa mère est déterminante pour que le mouvement mondial de l’Op Art au XXe siècle s’enrichisse des racines lituaniennes de Kazys Varnelis.

    A l’âge adulte, Kazys Varnelis invite une autre forme d’art dans son atelier : il aime peindre en écoutant de la musique classique (Beethoven, Giuseppe Verdi) et du jazz (Frank Sinatra). Son habitude de peindre en écoutant le crooner le plus célèbre au monde suggère qu’il est resté longtemps dans l’état d’esprit d’apprécier la culture populaire à sa juste valeur, quelle que soit son origine, sans jamais mépriser l’influence qu’elle pouvait avoir sur son travail.

    Photo en tête de l’article :
    Aperçu de l’exposition Kazys Varnelis, Le Classiciste Op de Lituanie, présentée par le Centre Pompidou, Paris, dans le cadre de la Saison de la Lituanie en France en 2024.

    Toutes les photos ont été prises par l’auteur du blog.

  • L’ambre de la Baltique : découvrez son impact fascinant

    L’ambre de la Baltique : découvrez son impact fascinant

    Après de fortes houles, si en France les adeptes des loisirs créatifs et créations maison sont heureux de trouver du bois flotté sur la plage, les Lituaniens peuvent facilement y trouver de l’ambre !

    L’ambre, c’est l’or de la Lituanie. L’ambre de la Baltique est une résine de pin fossile, sécrétée il y a 40 millions d’années par des conifères, aujourd’hui engloutis par la mer Baltique.

    L’or de la Baltique convoité par l’Égypte des pharaons…

    La route de la soie est bien connue, mais la route de l’ambre mérite de l’être davantage. L’ambre est à l’origine des premiers contacts entre les peuples de la Baltique et de la Méditerranée. C’est précisément à la recherche d’ambre que les habitants de la Méditerranée et de la mer Noire, ainsi que les Arabes du Proche-Orient, ont organisé les premières routes commerciales vers l’Europe du Nord. Dans le livre Lituanie : Les feux de pierre, l’auteur Julien Oeuillet rappelle que l’ambre de la Baltique a même été retrouvé sur le masque de Toutânkhamon !

    …avant d’inspirer le nom de la plus grande invention du XIXe siècle

    La langue lituanienne associe l’ambre à ses vertus protectrices. L’ambre est appelé gintaras (le verbe ginti signifie défendre). Le terme gintaras désigne une amulette ou un porte-bonheur.

    Les langues latines ainsi que la langue anglaise associent davantage l’ambre à ses utilisations potentielles. Le terme utilisé dans ces langues pour désigner l’ambre a été emprunté dès le XIVe siècle au latin médiéval ambar, ambra, lui-même tiré de l’arabe anbar, « ambre gris ». D’origine végétale, l’ambre jaune a reçu ce nom par analogie avec l’ambre gris, d’origine animale, qui présente des caractéristiques physiques et des utilisations similaires. L’ambre gris a été introduit en Europe au Moyen Âge pour être utilisé comme parfum et comme médicament.

    Au toucher, l’ambre jaune capte la chaleur du corps et la restitue. Dans le jargon scientifique, l’ambre est une matière combustible et peut engendrer un phénomène d’électrisation par frottement (l’ambre peut générer de l’électricité statique lorsqu’il est frotté). Selon une légende balte, empreinte de poésie, un morceau d’ambre est un rayon de soleil qui se matérialise au contact de l’eau. Les langues germaniques associent l’ambre à cette notion de chaleur et de soleil. Pour désigner l’ambre, le terme Bernstein fait référence à sa capacité d’entrer en combustion : il signifie littéralement « pierre qui brûle » (de stein « pierre » et brennen
    « brûler »). Et les teintes dorées de l’ambre jaune ne vous rappellent-elles pas le feu ?

    Les pouvoirs électrostatiques de l’ambre sont reconnus, à tel point que le mot électricité vient du grec êlektron (ήλεκτρο) qui signifie ambre !

    …et de permettre aujourd’hui encore des découvertes scientifiques

    Imaginez la portée scientifique de ce phénomène : en se solidifiant, la résine de pin a pu piéger des fragments intacts et tridimensionnels d’organismes vivants préhistoriques ! Des espèces animales et végétales : insectes, araignées, champignons, lichens, bryophytes (catégorie de plantes à laquelle appartiennent les mousses), plantes à graines comme les feuilles, les fleurs, les chatons et le pollen, etc.

    Les archives florales fossiles de l’ambre se distinguent par leur rareté. Les inclusions florales ne dépassent généralement pas 10 mm. Un morceau d’ambre a cependant livré une fleur d’une taille exceptionnelle : 28 mm de diamètre. On doit à la Baltique le plus grand fossile connu d’une fleur conservée dans l’ambre.

    Quant aux arthropodes fossiles, National Geographic estime que l’ambre de la Baltique a déjà offert les traces de plus de 3 500 espèces (dont plus de 650 espèces d’araignées fossiles). Plus extraordinaire encore, l’ambre de la Baltique a magistralement conservé quelques vertébrés préhistoriques, dont le plus ancien spécimen connu d’une variété de lézard : un gecko appelé Yantarogekko balticus, daté d’environ 54 millions d’années ! Son étude a permis de découvrir que le système complexe d’adhésion des doigts du gecko sur un mur est plus ancien de 20 à 30 millions d’années que les scientifiques ne le pensaient.

    Un gecko appelé Yantarogekko balticus, daté d’environ 54 millions d’années,
    nous est parvenu presque intact, grâce à un morceau d’ambre de la Baltique.
    Crédit photo : Museumsfotograf

    Le monde avance et la mer Baltique apporte sa pierre à l’édifice.

    Crédit photo pour l’image mise en avant : l’auteur du blog.

  • Découvrez Le Linceul Blanc : une plongée dans la mythologie lituanienne

    Découvrez Le Linceul Blanc : une plongée dans la mythologie lituanienne

    Un chef-d’œuvre de 1954 enfin disponible en français

    Le Linceul Blanc (titre original : Balta drobulė : romanas) d’Antanas Škėma est un chef-d’œuvre de la littérature lituanienne dans lequel les Français peuvent enfin se plonger depuis 2024.

    Mon sang n’a fait qu’un tour lorsque je me suis rendu compte qu’un chef-d’œuvre de la littérature lituanienne, écrit entre 1952 et 1954, n’a pu être publié en Lituanie qu’à partir de 1989 en raison de la censure du régime soviétique, et n’a rejoint les librairies françaises qu’en 2024. Le roman Le Linceul Blanc d’Antanas Škėma n’est autre qu’un diamant aux multiples facettes.

    Un contexte historique réel, qui fait écho à notre époque

    Ce qui m’a plu, tout d’abord ? Les descriptions métaphoriques de la nature. Lorsque je contemple un paysage, il me revient en mémoire des passages du roman, qui me font poser un regard neuf sur le ciel, l’eau, la forêt et la brume.

    Ce qui m’a plu ? L’intégration à la trame narrative d’informations contextuelles, historiques, qui dénoncent habilement l’oppression russe.

    Marcher dans un jardin labyrinthique de souvenirs et d’émotions

    Ce qui m’a également plu ? Les lignes temporelles qui s’enchevêtrent : la force poétique de l’une, la quête universelle de soi dans une autre, l’élan vital et les problématiques encore très contemporaines qui se dégagent de toutes. Ce jardin dédaléen de souvenirs est peut-être le pendant visuel du système nerveux, qui tient un rôle non négligeable dans le roman. Celui-ci donne également l’opportunité rare d’être plongé au cœur du processus mental de création littéraire.

    Grâce aux pointes d’humour qui parsèment le roman, j’ai ri à voix haute. Je sais maintenant pourquoi j’aime tant la poésie et l’humour. Ces deux concepts ont un point commun : ils offrent une vision anticonformiste de la réalité. J’ai aussi versé des larmes, emplies de reconnaissance. Rarement des mots aussi justes ont été trouvés pour retranscrire aussi fidèlement les pensées et les émotions qui nous submergent dans les moments de désespoir.

    Explorer la richesse de la mythologie lituanienne

    Le Linceul Blanc est un formidable vecteur du patrimoine culturel lituanien. Il met en lumière des personnages littéraires issus d’autres œuvres lituaniennes.

    Le roman attire également l’attention sur bon nombre de dieux protecteurs de la nature et créatures appartenant à la mythologie lituanienne. Des notes de bas de page, rédigées par la traductrice Miglė Dulskytė à qui l’on doit un travail prodigieux, donnent des informations précieuses sur chacun d’eux.

    Les lecteurs francophones se rendront compte que la Lituanie est l’un des rares pays au monde à avoir forgé sa propre mythologie. Les déesses y sont présentes au même niveau hiérarchique que les dieux. La vénération de la nature est au cœur de la mythologie lituanienne. La richesse de cette mythologie, au même titre que la religion païenne, a contribué à faire du peuple lituanien celui qui, en Europe, opposa la plus longue résistance à l’évangélisation.

    La traduction française a conservé tous les noms lituaniens dans leur version originale et a maintenu les accents graphiques lituaniens. Je salue ce parti pris, suffisamment rare pour être souligné.

    Vivre le pouvoir de la culture

    En articulant son récit autour de références culturelles, l’auteur fait mieux que dire le pouvoir de la culture, il nous en imprègne tout au long du roman.

    L’un des personnages, Vaidilionis, un poète célèbre dans le roman, rappelle le pouvoir de la culture en temps de guerre : « Je suis lu et récité. On dit que je les encourage à rester en vie. Toute la nation. »

    Après ce voyage littéraire hors des sentiers battus, vous aurez sans doute envie de le prolonger avec d’autres pages de la littérature lituanienne.

    Le Linceul Blanc (titre original : Balta drobulė : romanas) d’Antanas Škėma, traduit du lituanien par Miglė Dulskytė, Editions Cambourakis, 213 pages.

    Crédit photo pour l’image mise en avant : l’auteur du blog.