Un chef-d’œuvre de 1954 enfin disponible en français
Le Linceul Blanc (titre original : Balta drobulė : romanas) d’Antanas Škėma est un chef-d’œuvre de la littérature lituanienne dans lequel les Français peuvent enfin se plonger depuis 2024.
Mon sang n’a fait qu’un tour lorsque je me suis rendu compte qu’un chef-d’œuvre de la littérature lituanienne, écrit entre 1952 et 1954, n’a pu être publié en Lituanie qu’à partir de 1989 en raison de la censure du régime soviétique, et n’a rejoint les librairies françaises qu’en 2024. Le roman Le Linceul Blanc d’Antanas Škėma n’est autre qu’un diamant aux multiples facettes.
Un contexte historique réel, qui fait écho à notre époque
Ce qui m’a plu, tout d’abord ? Les descriptions métaphoriques de la nature. Lorsque je contemple un paysage, il me revient en mémoire des passages du roman, qui me font poser un regard neuf sur le ciel, l’eau, la forêt et la brume.
Ce qui m’a plu ? L’intégration à la trame narrative d’informations contextuelles, historiques, qui dénoncent habilement l’oppression russe.
Marcher dans un jardin labyrinthique de souvenirs et d’émotions
Ce qui m’a également plu ? Les lignes temporelles qui s’enchevêtrent : la force poétique de l’une, la quête universelle de soi dans une autre, l’élan vital et les problématiques encore très contemporaines qui se dégagent de toutes. Ce jardin dédaléen de souvenirs est peut-être le pendant visuel du système nerveux, qui tient un rôle non négligeable dans le roman. Celui-ci donne également l’opportunité rare d’être plongé au cœur du processus mental de création littéraire.
Grâce aux pointes d’humour qui parsèment le roman, j’ai ri à voix haute. Je sais maintenant pourquoi j’aime tant la poésie et l’humour. Ces deux concepts ont un point commun : ils offrent une vision anticonformiste de la réalité. J’ai aussi versé des larmes, emplies de reconnaissance. Rarement des mots aussi justes ont été trouvés pour retranscrire aussi fidèlement les pensées et les émotions qui nous submergent dans les moments de désespoir.
Explorer la richesse de la mythologie lituanienne
Le Linceul Blanc est un formidable vecteur du patrimoine culturel lituanien. Il met en lumière des personnages littéraires issus d’autres œuvres lituaniennes.
Le roman attire également l’attention sur bon nombre de dieux protecteurs de la nature et créatures appartenant à la mythologie lituanienne. Des notes de bas de page, rédigées par la traductrice Miglė Dulskytė à qui l’on doit un travail prodigieux, donnent des informations précieuses sur chacun d’eux.
Les lecteurs francophones se rendront compte que la Lituanie est l’un des rares pays au monde à avoir forgé sa propre mythologie. Les déesses y sont présentes au même niveau hiérarchique que les dieux. La vénération de la nature est au cœur de la mythologie lituanienne. La richesse de cette mythologie, au même titre que la religion païenne, a contribué à faire du peuple lituanien celui qui, en Europe, opposa la plus longue résistance à l’évangélisation.
La traduction française a conservé tous les noms lituaniens dans leur version originale et a maintenu les accents graphiques lituaniens. Je salue ce parti pris, suffisamment rare pour être souligné.
Vivre le pouvoir de la culture
En articulant son récit autour de références culturelles, l’auteur fait mieux que dire le pouvoir de la culture, il nous en imprègne tout au long du roman.
L’un des personnages, Vaidilionis, un poète célèbre dans le roman, rappelle le pouvoir de la culture en temps de guerre : « Je suis lu et récité. On dit que je les encourage à rester en vie. Toute la nation. »
Après ce voyage littéraire hors des sentiers battus, vous aurez sans doute envie de le prolonger avec d’autres pages de la littérature lituanienne.
Le Linceul Blanc (titre original : Balta drobulė : romanas) d’Antanas Škėma, traduit du lituanien par Miglė Dulskytė, Editions Cambourakis, 213 pages.
Crédit photo pour l’image mise en avant : l’auteur du blog.
